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Bêla Bartok
Dix ans plus tôt,. Bartok s'était préparé en écrivant deux
Rhapsodies pour violon et piano (la première dédiée à Jozsef
Szigeti, la seconde à Zoltan Szekely) qu'il avait aussitôt trans¬
crites pour violon et orchestre. Mais ni l'une ni l'autre n'ont
fait jusqu'alors carrière comparable à celle du 2 e Concerto
que fit connaître par toute l'Europe Spivakovsky et que
Menuhin imposa en Amérique et enregistra avec Furt-
waengler avant de commander à Bartok la Sonate pour violon
seul.
CONCERTO N° 2
pour Violon et Orchestre
( 1938 )
Face 1
Le 2 e Concerto a été souvent comparé au « Concerto à la
mémoire d'un ange » d'Alban Berg. Serge Moreux y voit le
même « monde foisonnant » et Pierre Citron la même « ouver¬
ture et diversité de l'univers sonore » ainsi que la même
« violence cataclysmique de certains passages ». Cependant,
Bartok écrit plus ouvertement une pièce de haute virtuosité
dont ni la forme ni le langage ne sont comparables à ceux de
la grande méditation poétique de Berg.
Zoltan Szekely avait demandé à Bartok un vrai concerto de
soliste. Mais le compositeur avait depuis longtemps dans son
intentiond'écriredesvariations. C'est pourquoi le 2 e Concerto,
s'il obéit à la coupe ternaire du concerto classique, n'en pro¬
cède pas moins selon l'esthétique de la variation, puisque le
second mouvement n'est autre qu'un thème varié et que le
finale fait revenir presque tous les thèmes du mouvement
initial.
L 'Allegro ma non troppo est ouvert calmement par des ac¬
cords de Si majeur à la harpe. Le violon entre aussitôt avec un
thème d'un chaud lyrisme au rubato quasi tzigane qu'il va
développer en de volubiles guirlandes où l'orchestre trouve
le sujet de ses répliques. On est frappé de reconnaître au pas¬
sage sept mesures en Ut majeur, sans le moindre accident,
sans la moindre dissonance. Bartok se permet là une audace
à rebours proprement sans exemple dans ses compositions
précédentes. Mais, en revanche, le second thème, d'une très
grande beauté plastique, n'est autre qu'une série dodécapho-
nique. D'aucuns ont vu là un hommage aux Viennois. D'autres
un pastiche sarcastique. Mais Lendvai fait justement remar¬
quer que ce thème ne désobéit en rien au système tonal parti¬
culier à Bartok.
D'éclatants tutti orchestraux, où brillent les cuivres, brisent
plusieurs fois le complexe développement avant une rapide
récapitulation qui, après une somptueuse cadence, conclut
sur l'unisson de Si naturel.
L'Andante tranquillo est nettement moins développé que le
premier mouvement. Il débute, sur l'immobilité attentive de la
harpe et des cordes, par un grand thème mélodique en Sol
majeur, dont la simplicité, la déchirante nudité, la tendre
confiance vont être soigneusement préservées par une
orchestration légère, scintillante, aérée. Très vite, la confor¬
table tonalité va dériver vers une suite d'harmonies raffinées,
subtilement alliées à la différenciation des timbres. Les varia¬
tions font appel à tout un arsenal de trilles, d'harmoniques,
de glissandos, d'arpèges, de traits fluides. La dernière, plus
rythmée, est dans l'esprit acidulé d'un scherzo fauréen. Mais
c'est l'orchestre (cordes et percussion) qui reste maître du
sautillement des pizzicati, laissant au soliste le soin de pour¬
suivre son calme dessin mélodique. Pour finir, on retourne à
la nostalgie du début et le mouvement s'achève dans un aigu
lointain et pur, presque sidéral.
L' Allegro mo/to reprend, dans une structure rythmique nou¬
velle, le thème principal du premier mouvement, prétexte,
cette fois, à de solides prouesses de virtuosité violonistique.
Le mouvement tout entier va être dominé par les acrobaties
du soliste, entre quelques sections de repos et de détente
appuyées sur de suaves accords des cordes. De grands cres-
cendos, aidés par des cuivres « volcaniques », vont pousser le
discours jusqu'à un paroxysme, une somptueuse apothéose,
qui débouche sur deux codas, la première légère et douce, la
seconde durement maintenue dans le halètement d'un mou¬
vement perpétuel jusqu'à la cassure finale. C'est sans doute
dans ce mouvement qu'on peut reconnaître le plus facilement
les influences qui marquaient Bartok à cette époque : in¬
fluence des grands intervalles expressifs de Berg, du déroule¬
ment rythmique régulier de Prokofiev, des contrastes stra-
vinskiens et des élégances néo-classiques de Hindemith.
Maurice FLEURET
I. Allegro non troppo
Face 2
a) II. And ante tranquillo
b) III. Allegro mo/to
(Éditions Boosey and Hawkes)
YEHUDI MENUHIN, violon
The Philharmonia Orchestra
direction :
WILHELM FURTWAENGLER
PIAI/IR
Mü/lCAL
Bêla Bartok (photo X)
Le compositeur des Mikrokosmos, des trois Concertos pour
piano, le pianiste Bartok, s'est toujours beaucoup intéressé
aux archets. Peut-être parce que, très jeune, il a tout de suite
reconnu l'inégalable pouvoir expressif des cordes et conservé
à leur égard le respect ainsi que la curiosité qui prévalent dans
la musique d'Occident depuis Haydn.
Avant même d'entreprendre le vaste monument des Six
Quatuors — le plus considérable et le plus personnel qu'on
ait dédié au genre depuis Beethoven — Bartok se soumet à
la discipline si particulière de l'archet en des quatuors, quin¬
tettes et sonates de jeunesse très influencés par l'écriture
brahmsienne.
Symétriquement, à la fin de sa vie, nombreuses seront les
pages consacrées aux cordes. Après sa dernière composition
européenne, le Divertimento pour orchestre d'archets (1939),
il donnera en effet son 6 e Quatuor (1939), la Sonate pour
violon seul (1944) et enfin — oeuvre ultime — le Concerto
pour alto (1945).
Le dialogue du violon et de l'orchestre le sollicite pour la
première fois en 1907. Il écrit alors, pour le virtuose hongrois
Stefi Geyer, un Concerto dont on ne connaîtra longtemps que
le mouvement initial sous l'aspect du premier des Deux Por¬
traits opus 5 : le Portrait Idéal. On a découvert, il y a quelques
années, le manuscrit intégral de cette partition qui a pris dé¬
sormais le nom de « Concerto n° 1 ».
Car, en août 1937, sur la suggestion de Szigeti, Bartok
revient une nouvelle fois sur un genre que viennent d'illustrer
brillamment Stravinsky, Prokofiev, Berg et Schoenberg et un
2 e Concerto pour violon sera terminé le 31 décembre 1938 et
créé à Amsterdam le 23 avril 1939 par son dédicataire Zoltan
Szekely (le premier violon du Quatuor Hongrois), sous la
direction de Mengelberg.
En couverture :
Photos Luc Joubert
et Sabine Weiss
LES I. M. E. PATHÉ MARCONI - PARIS